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       Marie Marie referme soigneusement le colis qu’elle vient de prĂ©parer. Elle ajuste le foulard qui couvre sa tĂŞte nue, note machinalement l’adresse du destinataire : Ama BaĂŻta, 33120 le Moulleau. Elle termine la lettre d'instructions qu’elle donnera Ă  son avocat et imagine sa surprise Ă  la lecture de la destinataire. Mai 2023 Vendredi Gabriele Remontant l’allĂ©e, je me souviens... Je me souviens de mes tongs Ă  pâquerettes, du sable roux qui pĂ©nètre entre mes doigts de pied, des petits cailloux ronds qui roulent, des Ă©pines de pin qui viennent ajouter des intrus... Vivement la plage et son sable fin... au diable les tongs et les graviers ! Un virage, un autre et enfin je la vois, comme dans mes souvenirs, peut-ĂŞtre un peu plus petite mais qu’importe ! J’ai le coeur qui bat vite... L’émotion me gagne, elle est toujours lĂ  : la maison de mon enfance. Les jardinières dĂ©bordent de gĂ©raniums... pour Ă©loigner les moustiques comme le disait ma grand-mère quand elle dĂ©posait, pour complĂ©ter son arsenal anti bestioles, sur nos tables de nuit, un coton imbibĂ© d’huile essentielle de citronnelle. « Sur l’eau, exquise maison basque, six chambres, salon, salle Ă  manger, un lieu enchanteur pour des vacances familiales hors du temps sur les plages du Moulleau », voilĂ  comment une agence immobilière aurait pu la dĂ©crire. Alors mĂŞme si j’ai dĂ» dire adieu Ă  nombreux de ses occupants, leur souvenir tout Ă  coup m’envahit. C’est comme si... Comme si Ă  chaque instant ils allaient entrouvrir une fenĂŞtre et m’appeler. Je perçois le bruit sourd du gong nous invitant Ă  passer Ă  table. Mes sens sont aux aguets... prĂŞts Ă  tout... le dĂ©sir et l’imaginaire s’entremĂŞlent. La force de l’esprit... j’entends leurs voix, respire leurs parfums, ils sont lĂ  avec moi. Comme j’aimerais avoir cinq ans et revivre ces doux moments. Je presse le pas, impatiente. Je serre entre mes doigts le trousseau donnĂ©, il y a quelques minutes, par l’agent immobilier. « Vous avez de la chance, un dĂ©sistement de dernière minute. La villa est grande, vous comptez y sĂ©journer seule ? ». Pensive, je mets du temps Ă  rĂ©pondre : « non, des amies arrivent, nous serons trois... non quatre ! », voilĂ  mon unique rĂ©ponse, il ne compte pas lui, alors pourquoi perdre du temps en banalitĂ©s. J’arrive sous le porche de la villa, la serrure n’a pas Ă©tĂ© changĂ©e, il suffit de tourner la clĂ© Ă  l’envers et de donner un petit coup d’épaule pour l’ouvrir. Je referme la porte dĂ©licatement, retiens mon souffle, les meubles ne sont plus lĂ  mais la lumière est la mĂŞme. L’imposant escalier n’a pas bougĂ© et donne Ă  l’entrĂ©e son caractère majestueux. Je ferme les yeux et tout me revient en mĂ©moire, les fauteuils Morris, le tapis, la pendule Ă  l’inimitable sonnerie de Big Ben. Cette sonnerie, ma madeleine de Proust Ă  moi. Si bien qu’à Londres, lorsqu’elle retentit je m’imagine sur le bassin ! N’y tenant plus, je me dirige, fĂ©brile vers le salon pour la voir... j’en suis sĂ»re, elle n’aura pas changĂ©... ma vue du bassin : les pins, le Perret, la plage, la mer, les bateaux aux corps morts...le combo parfait. D’instinct, je me positionne pour avoir dans mon champ de vision le cadrage idĂ©al, celui imprimĂ© dans ma mĂ©moire. Oui, comme toujours c’est parfait. Rapide, j’envoie un bref message Ă  notre groupe, les quatre redoutables :<br>« Rendez-vous demain Ă  la gare d’Arcachon, je viendrai vous chercher, soyez Ă  l’heure. N’oubliez pas Marie sera avec nous ce week-end ! » Je sais qu’elles attendent le top dĂ©part. Ă€ l’autre bout de la France, leur tĂ©lĂ©phone a dĂ» faire sursauter les jeunes femmes. Samedi Gabriele Depuis ce matin je m’active... Chambres, lits, salles de bain, tout doit ĂŞtre parfait. Laura et Aurore seront Ă  l’étage, la grande chambre jaune du rez-de-chaussĂ©e sera rĂ©servĂ©e Ă  Marie, je m’installerai en face, dans mon ancienne chambre. Incroyable, son papier peint n’a pas Ă©tĂ© changĂ©, le dĂ©cor champĂŞtre de la toile de Jouy vieux rose m’invite comme toujours au vagabondage. Mon regard s’attarde sur mon vieux sac de plage, celui que je traĂ®nais sur la plage adolescente. Aurore Il est huit heures, Aurore jette un bref coup d’oeil Ă  son salon. Il est parfait, parfaitement dĂ©corĂ©, parfaitement rangĂ©, le tout dans un style bohème chic, et pourrait faire la Une d’un magazine de dĂ©co ! Mais tellement triste depuis que le rire des enfants ne rĂ©sonne plus... ce calme, cette angoisse... Elle retient une larme...se ressaisir, ne pas laisser la moindre place Ă  la mĂ©lancolie, ni aux regrets. Et puis cela fait maintenant deux ans que Paul et Suzanne sont en garde alternĂ©e. Blonde, Ă©lancĂ©e au look casual chic, elle sait capter les regards mĂŞme si aucun n’a trouvĂ© grâce Ă  ses yeux depuis le dĂ©part de Tom. Entre son taf de commerciale et ses enfants, elle n’a pas vraiment le temps. Et puis Nevers est une toute petite ville... Laura Laura, la rousse... et oui, mĂŞme si elle prĂ©fère se prĂ©senter en tant que blonde vĂ©nitienne, elle l’admet de temps en temps Ă  demi-mots... elle est plutĂ´t rouquine... Laura aux tâches de rousseur, Laura qui ne s’arrĂŞte jamais. Une agence de com, un mari, une fille : Emma, son portrait tout crachĂ©, un appartement Ă  Paris, une maison Ă  la campagne, dans le Berry Ă©videmment pour voir les filles ! Sur le quai de la gare, Laura rajuste sa coiffure, resserre la ceinture de son trench, grimpe dans le train. Pas question de louper le premier rendez-vous Ă  Tours. Gabriele Me baigner, je n’ai que cela en tĂŞte. Alors que je suis sur le sable, prĂŞte Ă  profiter de ce moment, de mon moment... A la recherche d’une fouta, je fouille la poche de mon vieux sac de plage, et tombe sur une vieille enveloppe toute froissĂ©e. Je reconnais l’écriture de Marie : « serment du bassin ». Cinq minutes plus tard, assise face Ă  la mer je replie soigneusement la feuille de cahier d’écolier, la replonge dans mon sac, une larme coule sur ma joue. Je repense Ă  nous quatre, enfants, penchĂ©es sur ce cahier... Le paysage est apaisant, les bateaux dansent au bout des corps morts, la mer est bleue, des reflets argentĂ©s couleur « banc de sardines », comme je me plais Ă  le raconter au tĂ©lĂ©phone Ă  mon amant du moment. Les voiles colorĂ©es des planches se mĂŞlent Ă  celles des voiliers, voltigent telles un ballet de papillons devant mes yeux embuĂ©s de larmes. Je murmure : nous serons bien quatre ce week-end... Aurore-Laura Sur le quai de la gare de Tours, telles deux lycĂ©ennes, Aurore et Laura se sont jetĂ©es dans les bras l’une de l’autre en hurlant et gesticulant ; une vraie danse de sioux maugrĂ©e un passant grincheux ! Après ce charivari vient le temps des questions : comment vas-tu ? Ton taf ? Tes enfants ? Les rĂ©ponses et questions s’entremĂŞlent. Après ces questions nĂ©cessaires mais plutĂ´t futiles, le ton s’assagit et la partie commence enfin. « - Tu sais pourquoi Gabrielle a tenu Ă  avancer notre week-end annuel ? demande Aurore. - Non, rĂ©pond Laura, elle m’a juste Ă©voquĂ© un problème d’agenda, mais je crois qu’elle voulait surtout honorer notre serment». Un ange passe, et les deux amies reprennent le flot de leur conversation. Gabriele Après un bref tour chez Boirie, l’ancestrale Ă©picerie du Moulleau, oĂą je fais le plein de fruits, lĂ©gumes et bonnes bouteilles, je prends ma voiture direction la gare. Laura et Aurore m’attendent dĂ©jĂ  sur le parking et notre joyeuse bande prend la direction du Moulleau. Des « Oh ! Ah! Toujours aussi magique la vue ! » ponctuent l’arrivĂ©e d’Aurore et Laura Ă  la villa. Après avoir montrĂ© Ă  chacune sa chambre, je m’octroie un repos bien mĂ©ritĂ©... dix minutes face Ă  mon bassin, jamais non vraiment jamais je ne me lasserai de cette vue : mer scintillante, cris des mouettes, odeur des pins... Mon repos est de courte durĂ©e, très vite les doutes m’assaillent... La magie va-t-elle opĂ©rer ? Mes pensĂ©es s’évadent : Un taxi quitte l’allĂ©e, c’est Marie ! Marie qui fidèle Ă  son amour pour le spectacle nous fait une apparition théâtrale. Capeline beige sur la tĂŞte, grand châle sur les Ă©paules...une star ! Alors, mon comitĂ© d’accueil ? Tout se perd ici...lance-t-elle Ă  la cantonade. DĂ©jĂ  les filles dĂ©valent l’escalier criant « Marie ! Marie ! » Elles s’étreignent longuement. Un voile mĂ©lancolique passe sur mon visage, puis n’y tenant plus, je m’exclame « Dix-huit heures ! ApĂ©ro ! Mojito ! » AussitĂ´t dans un brouhaha, les filles dansent direction la cuisine oĂą chacune s’active. Quelques minutes plus tard, assises dans les transats aux rayures bayadères (on est dans le pays basque, non !), un plateau Ă  leurs pieds dĂ©bordant de victuailles interdites : 4 Mojitos, bols de chips, saucissons, les filles papotent. Marie ne touche pas Ă  son verre. Laura se lève et lance le premier toast : « Ă  nous les filles, Ă  nos amours, Ă  toi Marie ! Yallah ! ». Le cri de ralliement de notre enfance dĂ©range le voisin qui somnolait dans son transat. Il regarde hĂ©bĂ©tĂ© trois jeunes femmes qui dansent autour d’une table basse. Puis la soirĂ©e suit son court, enfants, maris, amants....une soirĂ©e filles ! Le lendemain matin, fidèle Ă  mes habitudes, j’ouvre les volets du rez-de-chaussĂ©e. J’ai toujours aimĂ© l’idĂ©e de faire entrer la lumière dans une maison. J’entre dans la chambre de Marie, pour procĂ©der Ă  mon rituel matinal, elle n’est pas lĂ , son lit est fait. J’ignore le pincement au coeur qui monte et file prĂ©parer le petit dĂ©jeuner. Nous nous retrouvons toutes sur la terrasse. Aurore est sur heureuse d’annoncer « Voici nos cafĂ©s et le thĂ© de Marie ! » Un bref coup de sonnette nous fait sursauter, « qui cela peut-il bien ĂŞtre ? » râle Laura qui file ouvrir. Elle revient livide et pose un colis sur la table. Stupeur, le colis est adressĂ© Ă  Marie ! Je me refuse Ă  l’ouvrir, et retiens Laura qui veut s’échapper. C’est Aurore qui fait preuve de courage et dĂ©couvre un album photos. Sur la couverture inscrit en lettres d’or : le serment du bassin. Nous nous asseyons en rond sur le tapis du salon et dĂ©couvrons les photos de notre enfance. Chaque Ă©tĂ©, nous venions en vacances chez nos grands-parents respectifs, et nous nous retrouvions sur la plage. PĂŞche Ă  la crevettes, premiers cours d’Optimiste, premières sorties, premiers amours tout y est.... L’examen des photos se fait sans bruit, nulle n’ose briser le silence. La dernière page provoque un flot de sanglots : la copie du serment du bassin, et un QR code (NDLR : lien internet vers une page web). Ă€ l’aide de mon tĂ©lĂ©phone, je le scanne, Marie apparait sur la vidĂ©o ! « Coucou les filles. Si vous voyez cette vidĂ©o, ce satanĂ© crabe a gagnĂ©. Ne pleurez pas, j’ai pris tellement de plaisir Ă  vivre notre histoire. Ce message, c’est ma façon Ă  moi de respecter notre serment. Bien sĂ»r, j’imagine que Gabriele a prĂ©parĂ© ma chambre avec soin, Laura a mis mon couvert Ă  chaque repas et Aurore a prĂ©parĂ© avec double dose de menthe mon verre de Mojito. Avec cette vidĂ©o, je veux donner un coup de pouce Ă  votre imaginaire. Vous dire, je suis lĂ . Allez, faites moi plaisir crions ensemble une dernière fois notre Yallah,...Yallah ! » Sous le choc nous entonnons un magnifique Yallah. En pleurs, nous tombons dans les bras les unes des autres. L’étĂ© de nos onze ans Gabriele « Ils m’envoient l’étĂ© prochain en Angleterre ! », Laura arrive en pleurant sur la plage. « Non ! » , nous rĂ©agissons d’une seule voix. « Ils disent qu’il est temps de grandir et qu’un voyage Ă  l’étranger me fera le plus grand bien. Pfff, ils n’y connaissent rien. Et puis l’annĂ©e prochaine c’est le dĂ©but des cours de catamaran, vous allez toutes progresser et moi...» Aurore lui coupe la parole : « pas question d’être ici sans toi. Je vous propose un pacte : ici Ă  quatre ou aucune ». C’est ainsi que le serment du bassin est nĂ©. Écrit sur une feuille de cahier d’écolier paraphĂ© de nos signatures enfantines. D’autoritĂ©, Marie le met dans son sac. Elle nous enverra plus tard une copie, je choisirai de cacher la mienne dans mon sac de plage. Mai 2023 Gabriele Laura brise le silence et balbutie : « mais comment, comment est-ce possible, comment a-t-elle fait ? ». Je lui rĂ©ponds : « J’imagine qu’elle avait tout prĂ©vu avec son avocat dès l’annonce de sa maladie » . « Elle nous connaissait si bien, elle savait que pour honorer notre parole nous n’hĂ©siterions pas Ă  faire comme si , comme si elle Ă©tait lĂ  » renchĂ©rit Aurore. C’est alors que je suis prise d’un fou rire qui contamine Laura et Aurore. Nous nous mettons alors Ă  chanter d’une seule voix, « Nous quatre, nous quatre ici comme promis, merci Marie ». 

      Sofie DÉON: Le serment du Bassin
           

       Â« Vous ne risquez pas de tomber ? » dit une voix. Je me retourne ; en douceur, pour ne pas tomber. C’est une jeune femme en jogging et survĂŞt’. « Si ! » Ses cheveux dĂ©faits ruissellent dans son cou. « Mais on voit mieux d’ici... » Elle se rapproche. On regarde le soleil se coucher ensemble. Les couleurs se dĂ©gradent, se dĂ©multiplient, dans le ciel aquatique. Lorsque le ciel est dĂ©gagĂ© le soir j’aime promener mes yeux du bleu au bleu. Du clair de jour, au nuit intense, d’un bout Ă  l’autre du nuancier. Je me baisse et m’assois sur le muret. Elle l’enjambe et s’assoit Ă  cĂ´tĂ© de moi. Elle s’appelle Ariana. J’ai grandi ici, Ă  Andernos. Je reviens de temps en temps. Retrouver la terre de mon enfance. La terre, le sable, la vase... Je ne vais plus vraiment dans la vase. Je ne vais plus Ă  la pĂŞche aux palourdes. Mais j’ai vĂ©cu ici assez longtemps pour que l’odeur de la vase ne me gĂŞne plus. Chaque fois que je reviens, j’ai mon rituel. Le soir après dĂ®ner je sors me balader. Toujours le mĂŞme chemin : je passe devant l’église, j’emprunte l’avenue Cazenave, je contourne le parking de la rĂ©sidence, je passe Ă  cĂ´tĂ© du Fish Head, très animĂ© en Ă©tĂ©, et j’arrive sur la promenade qui longe la plage. Je m’arrĂŞte devant le muret. Je fais le tour de l’horizon. En Ă©tĂ©, il fait encore jour. En hiver, nuit ; les lumières des villes encerclent le Bassin. J’observe les bateaux, plantĂ©s dans la vase Ă  marĂ©e basse, plantĂ©s dans l’eau Ă  marĂ©e haute. Puis je grimpe sur le muret. Je marche alors sur le muret, jusqu’à la plage du BĂ©tey qui est un peu plus loin. Ă€ chaque escalier qui descend sur la plage, il y a une ouverture dans le mur. Quand j’étais petit, le mur Ă©tait plus bas, et les ouvertures plus Ă©troites. Je prenais mon Ă©lan, et je sautais par-dessus. Le mur a Ă©tĂ© refait depuis ; plus haut ; les escaliers plus larges. Je ne saute plus. Parfois je faisais des petits bonds, ou des ronds de jambe. Je me tenais sur un pied, je laissais l’autre jambe pendre dans le vide, et je pliais le genou, pour travailler les cuisses, l’équilibre. Je recommençais de l’autre cĂ´tĂ©. Je m’imaginais ĂŞtre un danseur en train de m’exercer. Encore aujourd’hui. Un danseur sous les Ă©toiles. Quand j’étais Ă  l’école du BĂ©tey, on y allait souvent. Une piscine d’eau salĂ©e... après, sous la douche, mes yeux Ă©taient rĂ©vulsĂ©s. Je repasse parfois devant l’entrĂ©e ; la ventilation projette l’odeur du chlore de sel. Souvenirs. Ariana aussi a grandi au bord de la mer. Elle est chanteuse. Elle vient des États-Unis. CĂ´te Est. On parle anglais. Ariana sur le Rivage ; ce sera le titre de ma prochaine chanson. Elle a pris quelques jours de vacances, incognito. Personne ne sait qu’elle est ici, sauf son chauffeur, qui attend son appel. Et puis... habillĂ©e comme elle est, pas coiffĂ©e pas maquillĂ©e, personne ne la reconnaĂ®tra. Dit-elle. Nous sommes survolĂ©s par un oiseau. Il vole assez haut. Deux oiseaux ! Ils ont l’air d’être ensemble. Ils passent sous la lune ; et sous un avion, qui vole, très haut, et laisse derrière lui une fine robe blanche. Je n’ose pas lui dire que j’ai Ă©crit quelques chansons. Je lui demande un autographe. Ça la fait sourire ; elle dit oui. Je n’ai pas de papier. Elle signe sur mon bras. Sa signature est une succession de vaguelettes lĂ©gères et fluides, surmontĂ©es d’un petit cĹ“ur. IndĂ©chiffrable. Ariana me dit : « Aussi loin que je me souvienne, j’ai toujours rĂŞvĂ© d’être chanteuse. » Je lui rĂ©ponds : « Moi aussi... » Andernos est un des rares endroits que je connaisse oĂą on peut facilement rencontrer des gens. Je ne sais pas si c’est parce que j’y ai vĂ©cu, ni si c’est pareil tout autour du Bassin. Rencontrer des gens, je veux dire, en vrai, en chair et en os ; et sans raison particulière. Ailleurs, il faut avoir une bonne raison pour se parler. Ici, on peut juste se parler. Andernos est une ville très touristique : en Ă©tĂ© ou en hiver, l’ambiance est très diffĂ©rente. Mais dans les deux ambiances, on peut rencontrer des gens. En hiver, tout le monde se connaĂ®t, quoi que pas toujours, et les locaux rencontrent les locaux. En Ă©tĂ©, tout est possible. Ariana voudrait aller quelque part. Mais oĂą... Nous regardons vers le large. La marĂ©e monte. Le bateau dĂ©marre. C’est un petit Flyer de 9 mètres. Je l’ai empruntĂ© Ă  un ami ; je sais oĂą il cache la clĂ©. S’il savait... mais je lui revaudrai ça, c’est sĂ»r. Au large, je coupe le moteur. Nous sommes pas loin de l’Île aux Oiseaux. Mais je ne compte pas trop m’en approcher ; encore moins de nuit. Je mouille l’ancre. Puis Ariana et moi nous installons sur le pont, devant le cockpit, oĂą sont amĂ©nagĂ©s des transats matelassĂ©s. Dans l’obscuritĂ©, sous les Ă©toiles, loin des rivages, on Ă©coute le monde ; il ne reste que le clapot des vagues sur la coque. Autour de nous, les villes du Bassin brillent. Elles forment un long liserĂ© de billes dorĂ©es, un bras de galaxie. Ariana me parle de sa carrière, Ă©prouvante ; de sa prochaine tournĂ©e. Elle repart bientĂ´t. En ce moment elle lit Nicolas Bouvier ; l’Usage du Monde. Partir... voir... tendre la main Ă  d’autres ; revenir... souffler... et repartir... ailleurs... dans l’exact mĂŞme but... Elle aimerait ĂŞtre comme lui. Elle-mĂŞme voyage beaucoup, mais elle a rarement l’occasion de rencontrer quelqu’un. Elle aussi voudrait passer plus de temps Ă  tendre la main et Ă  voir le monde... en tout cas un peu moins Ă  ĂŞtre vue. Son prochain concert est Ă  Kiev. C’est courageux, lui dis-je. Mais c’est bien. Nous Ă©coutons la nuit, le bateau tangue docilement. « J’aimerais ĂŞtre au sommet du monde... » soupire Ariana. Je la regarde. Ariana ? Oui ? Tu y es dĂ©jĂ . Comment ça ? Le sommet du monde, c’est ici. Elle me demande pourquoi la lumière des villes au loin vacille. Je crois que c’est une histoire de tempĂ©rature. La lumière traverse des masses d’air froid et d’air chaud, qui altèrent sa trajectoire. C’est Ă©trange, dit-elle, la lumière paraĂ®t si imperturbable, si sĂ»re d’elle ; et elle se laisse troubler par... de l’air ? des variations de tempĂ©rature ? Elle a raison. La lumière a beau ĂŞtre Ă©blouissante, elle n’en est pas moins fragile. Elle veut nager. L’eau est encore bonne. Nous revenons cĂ´tĂ© cockpit et nous nous dĂ©shabillons dos Ă  dos. Une fois dans l’eau il n’y aura plus personne sur le pont. Je noue une corde Ă  mon poignet, sait-on jamais, comme me l’a appris mon ami Seb sur ce mĂŞme bateau. On saute. On nage près du bateau, qui se tourne vers nous, et nous fait face. Ariana s’imagine qu’il pourrait tout Ă  coup s’animer, dĂ©marrer et nous rouler dessus. On serait alors happĂ© par l’hĂ©lice... C’est vrai que, quand on est dans l’eau, avec seulement la tĂŞte Ă©mergĂ©e, près de la coque d’un bateau, c’est assez impressionnant. Et encore, c’est un petit bateau. Elle me dit qu’elle a un peu peur, de nager, loin de tout, la nuit, dans l’eau sombre, et le silence. Mais c’est aussi la peur qui lui a donnĂ© le frisson d’y aller. Je pourrais lui dire qu’il n’y a pas de requin dans le Bassin, mais la simple Ă©vocation des requins risquerait d’empirer les choses. D’autant que je ne suis pas sĂ»r de mon anglais ; si ma phrase n’est pas assez claire et qu’elle ne comprend que le mot requin... Je lui dis de se rapprocher. Elle vient vers moi ; elle se sent dĂ©jĂ  mieux. Je lui dis de se rapprocher encore ; je lui dis qu’elle peut se rapprocher autant qu’elle veut. Elle s’approche encore, et lorsqu’elle tient mes hanches entre ses jambes, elle pose sa tĂŞte sur mon Ă©paule et me dit : lĂ  c’est bien. Je sens son cĹ“ur battre comme si une meute de requins nous encerclaient. Ă€ moins que ce ne soit le mien. De retour sur le pont, sĂ©chĂ©s, rhabillĂ©s, on s’allonge sur les transats, avec un plaid. Elle me demande de lui raconter quelque chose. Je lui dis qu’un jour, cette histoire de bateau qui te roule dessus, ça a failli m’arriver. J’avais 10 ans, le père de Seb nous emmenait sur son bateau Ă  lui, trois garçons, trois copains, pour une virĂ©e sur le Bassin. On aimait s’asseoir Ă  la proue, les jambes dans le vide, les mains agrippĂ©es au garde-corps. Le bateau sautait sur les vagues, nos fesses faisaient des petits bonds et claquaient sur le plat-bord. Un jour on a fait du ski nautique, j’étais seul sur le pont avant, debout, et tout le monde regardait vers l’arrière le skieur en action. Mon père Ă©tait avec nous ce jour-lĂ . Soudain le bateau a ralenti. J’ai Ă©tĂ© projetĂ© en avant. Je suis tombĂ© entre le garde-corps et la coque. Je n’étais pas très Ă©pais. Puis l’instant d’après le bateau a accĂ©lĂ©rĂ© plein pot. J’avais un coude sur le plat-bord, une main agrippĂ©e au garde-corps, et les jambes dans le vide. Je n’ai mĂŞme pas pu crier, je tirais de toutes mes forces pour ne pas tomber. Si j’avais lâchĂ©, je serais passĂ© dessous. Heureusement, j’ai rĂ©ussi Ă  remonter. Personne ne s’est rendu compte de rien. Je ne l’ai racontĂ© Ă  mon père que des annĂ©es plus tard. Ariana me dit qu’il y a une morale Ă  cette histoire. Il ne faut jamais se tenir debout sans attaches Ă  l’avant d’un bateau lancĂ© Ă  pleine vitesse. Elle a sacrĂ©ment raison. On passe la nuit Ă  se raconter des souvenirs. Moi des souvenirs d’ici, et de l’Île de la RĂ©union. Elle des souvenirs de lĂ -bas. LĂ -bas : de l’autre cĂ´tĂ© de l’ocĂ©an. Elle aime imaginer que, si on pouvait voir assez loin, et si la Terre n’était pas ronde, d’ici, on verrait la Floride, et Boca Raton, sa ville natale. Une toute petite traversĂ©e de l’Atlantique nous en sĂ©pare. On s’est endormi tard dans la nuit. Le jour se lève sur le Bassin. La marĂ©e a eu le temps de descendre et de remonter. OĂą va-t-on maintenant ? Ariana saisit son sac et en sort le stylo avec lequel elle m’a Ă©crit sur le bras. Je regarde l’autographe sur ma peau ; il est dĂ©jĂ  presque effacĂ©. Elle pose le stylo devant le tableau de bord et le fait tourner comme l’aiguille d’une boussole. Le stylo s’arrĂŞte. « Par lĂ  ! » dit-elle. Bon, manque de bol, le stylo pointe vers la rĂ©serve ornithologique.<br>Je lui explique qu’on ne peut pas y aller comme ça, la fleur au fusil. Elle me dit : « I want it, I got it. » Ce que je traduirais par : Quand je veux quelque chose, je l’ai. J’aimerais pouvoir en dire autant... Sauf qu’en plus de ça, elle commence Ă  avoir faim. Et dans les marais, Ă  moins de courir après les ragondins et les cigognes, on ne va pas manger grand-chose. Bon on pourrait aller juste Ă  cĂ´tĂ©, il y a des ports, mais la vĂ©ritĂ©, c’est que je ne suis pas chaud pour naviguer dans ces eaux-lĂ . Je ne connais pas très bien, et... et je n’ai pas mon permis bateau. Mais je lui promets que si elle revient un jour, on ira Ă  cet endroit magnifique, avec les cigognes et tout et tout. Par contre, si on part dans la direction approximativement opposĂ©e, je connais un endroit sympa et nettement moins loin oĂą on trouvera de quoi se restaurer. Après tout, on n’a jamais dit quelle extrĂ©mitĂ© du stylo il fallait suivre ! « D’accord, mais je veux des croissants ! » « Comment est-ce qu’on mange ce truc ? » Le truc en question est une huĂ®tre qu’Ariana observe avec circonspection. Nous sommes Ă  Claouey. J’ai pensĂ© qu’ici en fin de matinĂ©e, il n’y aurait pas trop de monde, donc pas trop de monde qui pourrait la reconnaĂ®tre. MĂŞme si elle m’assure que sans coiffure ni tenue de scène et cetera, il n’y a aucun risque. Nous avons improvisĂ© un brunch en terrasse, au port ostrĂ©icole. Croissants et crustacĂ©s, je n’avais jamais vu ça. Elle s’est arrangĂ©e avec le restaurateur pour qu’il trouve tout le nĂ©cessaire. Quand elle veut quelque chose... En arrivant, j’ai lĂ©gèrement plantĂ© le Flyer dans le sable... Je ne sais pas trop comment je vais faire pour le ramener. J’espère que Seb ne m’en voudra pas. Ariana me dit qu’elle va devoir repartir. « Comme Bouvier ? je lui demande. — Comment ça comme Bouvier ? ... vers un nouvel ailleurs, mais dans l’exact mĂŞme but... » Elle me tire la langue. Elle appelle son chauffeur et lui indique oĂą venir nous chercher. En attendant, elle me raconte des histoires de coulisses, ubuesques. J’aimerais bien voir ça, une tournĂ©e de concerts. Le chauffeur appelle. Il est garĂ© un peu plus loin, il ne peut pas venir plus près, nous sommes dans une allĂ©e piĂ©tonne. Ariana se lève. Je l’accompagne. Sur le chemin, je me demande comment je vais expliquer Ă  Seb que j’aurais besoin de son aide... Ă  Claouey... pour ramener son bateau Ă  bon port... son beau Flyer tout neuf, plantĂ© dans le sable... Ariana m’interrompt dans mes pensĂ©es : « Thomas ? — Oui ? » Elle rĂ©flĂ©chit un instant, puis me demande : « Tu es dĂ©jĂ  allĂ© Ă  Kiev ? » 

      GrĂ©goire BARRAULT: Fragments d'une nuit d'Ă©tĂ©
           

       Avant-Hier Elle avait 10 ans. Elle regardait ses pieds engoncĂ©s dans des chaussures noires, vernies. Il faisait beau, le ciel Ă©tait bleu. Le soleil voulait effacer chaque ombre de sa mĂ©moire qui en contenait tant et plus. Mais pour elle, ce bleu n'Ă©tait pas le vrai bleu; celui qui pouvait devenir rouge en une fraction de seconde sous le vent du dĂ©sert. Et le soleil ne brillait pas de façon Ă  rĂ©chauffer les camĂ©lĂ©ons et les margouillats. D'ailleurs, ici, il n'y avait ni l’un, ni l’autre. Ses yeux ne demandaient qu'Ă  laisser Ă©chapper des larmes. Son ventre Ă©tait aussi agitĂ© qu'un vaste champ de papillons gigotant dans tous les sens. Elle voulait fuir, courir pieds nus, loin de cette vie qui ne ressemblait pas la sienne. Elle Ă©tait abandonnĂ©e, seule, elle qui avait si peur du noir. Son père, son idole, Ă©tait reparti en Afrique, reconstruire une nouvelle vie sur les ruines de celle laissĂ©e derrière eux. Elle avait dix ans en septembre 1975, et c'Ă©tait le premier jour de la rentrĂ©e Ă  Saint-Elme, l’école privĂ©e très chic d'Arcachon. Elle Ă©tait en cinquième A. Elle portait un tablier blanc, comme le voulait le règlement du collège. Chic Ă  l'extĂ©rieur. Pour elle, un enfer Ă  l'intĂ©rieur, elle le pressentait de toute son âme, de toutes les fibres de son ĂŞtre. EntrĂ©e en classe, elle s'est assise au dernier rang, petite souris grise voulant passer inaperçue tout en observant discrètement les Ă©lèves. Ils sont tous blancs, Ă  son grand Ă©tonnement. Dans sa classe Ă  Niamey, c’était une mosaĂŻque des couleurs du monde. Les enfants se tournèrent vers elle. Tully prit peur devant tous les regards braquĂ©s sur elle. Son cĹ“ur menaçait d'exploser. Tous ces enfants Ă©taient plus âgĂ©s qu'elle de deux ou trois ans. Des "grands" en somme. Ce jour-lĂ , en rĂ©crĂ©ation, personne n'adressât la parole Ă  Tully. Elle le remarqua Ă  peine tant elle Ă©tait absorbĂ©e par l’Antigone de Jean Anouilh Ă  laquelle elle s’identifiait entièrement. Puis les jours, les semaines, les mois suivants, l'enfer dĂ©ploya ses brasiers rougeoyants. Un petit groupe d'enfants dĂ©cidât de s'en prendre Ă  elle. Les filles s’amusèrent Ă  lui lancer des jets d'encre noire sur sa blouse blanche, les railleries se multipliaient. Elle usait de ses poings pour se dĂ©fendre.<br>Elle argumentait pied Ă  pied pour se justifier devant les professeurs gĂŞnĂ©s de ne pouvoir la dĂ©fendre face aux enfants de l’élite arcachonnaise. Cette annĂ©e-lĂ  marqua la petite fille au fer rouge. Le bruit courut très vite qu'elle venait d'Afrique noire. Les conclusions s'imposaient dans les paroles distillĂ©es, comme un poison lent, par les parents dans les oreilles de leurs enfants. La politique a toujours Ă©tĂ© dangereuse en Afrique. Le père de Tully s'Ă©tait mĂŞlĂ© Ă  l'opposition, ce qui l'avait conduit, en 1968, Ă  quitter Dakar pour le Niger, avec sa petite famille. Premier exil. Il a tout rebâti Ă  Niamey. Tully a trois ans. Au Niger, elle Ă©tait heureuse avec ses parents. Elle allait au lycĂ©e Français et sa vie lui semblait parfaite. Mais les coups d’états se multipliaient. La situation politique se crispait. Le père de Tully se retrouva compromis dans un imbroglio politique qui l’obligeât Ă  quitter le Niger en vingt-quatre heures, avec femme et enfant, laissant toute leur vie derrière eux. L’exil ou le poteau d’exĂ©cution, voilĂ  le choix qui leur Ă©tait imposĂ©. Dans la mĂ©moire de Tully rĂ©sonnerait toujours le bruit des balles des fusils semant la peur dans les quartiers de Niamey Elle verrait toujours les larmes de son père quand il leur annonça l’exil forcĂ©. Elle sentirait toujours son cĹ“ur se serrer lorsque ses souvenirs lui rappelleraient la douceur d’une vie effacĂ©e d’un coup de fusil ravageur. Le père de Tully avait achetĂ©, quatre auparavant, un appartement au Moulleau, dans une rĂ©sidence Ă  peine finie, le Panoramic. C'est lĂ , qu'il laissât sa famille, exilĂ©e, meurtrie, dĂ©racinĂ©e. C’est lĂ  qu’il abandonna une petite fille au cĹ“ur lourd d’injustices qu’elle avait tant de peine Ă  comprendre. Il repartait en CĂ´te d’Ivoire, reconstruire, encore une fois, une nouvelle vie et mettre Ă  l’abri, dĂ©finitivement, sa famille. Du moins, il l’espĂ©rait. Hier Elle a grandi. Tully adorait le Bassin, ses couleurs changeantes, du bleu au vert Ă©meraude selon la lumière. Elle regardait, la nuit, la lumière du phare du Cap Ferret et elle imaginait des corsaires, des boucaniers vivant dans cette immense forĂŞt qu'elle voit de l'autre cĂ´tĂ© de l'eau. Munie de sa licence de droit, elle fut admise Ă  l'Ă©cole de journalisme de Lille. Elle a rĂ©alisĂ© son rĂŞve de devenir grand reporter. Elle Ă©cumait toutes les zones de guerre afin de dĂ©noncer l’oppression des plus faibles, la dictature, l’innocence dĂ©vastĂ©e, la soumission des victimes Ă  des systèmes odieux. Elle les a vĂ©cu, enfant. Elle sait. Elle a fui Arcachon et son urbanisation inconsciente, ses volets fermĂ©s neuf mois sur douze. Tully a posĂ© ses valises Ă  Lège-Cap Ferret, Ă  Claouey. Elle y respire mieux loin du bĂ©ton. Elle est tombĂ©e amoureuse de la Presqu’île, de ses villages et de leur authenticitĂ©, qui peine Ă  se faire voir derrière un cĂ´tĂ© bling-bling donnant Ă  son refuge des airs de station touristique huppĂ©e. Parfois, son envie de tourner le dos Ă  ce passĂ© et ce prĂ©sent en sursis la dĂ©mangeait fortement. Un seul regard vers le Bassin, aux couleurs topaze, saphir, Ă©meraude, lui faisait oublier cette tentation de Venise. Alors, elle part sur les zones de guerre pour assouvir sa soif de vengeance, en quĂŞte d’une quelconque rĂ©demption afin de comprendre l’indicible qui entraĂ®ne le monde Ă  sa perte. Bien sĂ»r, c’est une idĂ©aliste, elle en a conscience. Mais pourquoi devrait-elle s’abandonner au fatalisme ambiant et ne rien faire, ne rien dire de ce qui se passe Ă  travers le monde ? C’est vrai, ce serait tellement plus facile. Heureux ceux qui ne cherchent pas Ă  savoir, leurs nuits sont si belles. Mais Ă  quoi servirait une conscience si elle devait rester silencieuse ? Aujourd'hui Tully a Ă©tĂ© convoquĂ©e Ă  Paris, au siège de son journal. En 48h, Tully se retrouvât dans un avion pour le Burkina-Faso, oĂą les tensions s’exacerbaient chaque jour un peu plus. Le Pays des Hommes Intègres s’embrasait sur les ruines d’une paix qui avait pourtant permis Ă  ce peuple travailleur de se projeter dans un avenir plus serein. Encore une fois, dĂ©stabilisĂ© par l’extĂ©rieur, des innocents payaient le prix du sang. L’ambassadeur de France l’accueillit au pied de l’avion. Samuel Levine semblait très tendu et jetait de frĂ©quents coups d’œil vers les berlines noires sur le tarmac, surveillĂ©es par des men in black tout aussi inquiets. Tully eut immĂ©diatement un coup de cĹ“ur pour ce diplomate d’un certain âge, aux manières raffinĂ©es mais pleines d’assurance. Dans la berline, la discussion s’engageât Ă  bâtons rompus, sur tous les sujets possibles, y compris le Bassin d’Arcachon. La jeune reporter apprit que Samuel Ă©tait originaire d’Arcachon. Il avait grandi Ă  la Villa Kermaden au Moulleau. Un lieu magique, hors du temps, remplacĂ© aujourd’hui par un immeuble hideux. Ses parents avaient du quitter la Villa Kermaden pour Andernos et jamais il n’avait pu oublier combien il avait Ă©tĂ© heureux dans cette maison face aux couchers de soleil, aux tempĂŞtes, aux changement de couleurs du ciel et de l’eau. Leur relation devint très vite une amitiĂ© complice oĂą chacun se reconnaissait dans l’autre, dans ses espoirs, ses blessures et sa soif d’un monde plus juste. Mais, Tully avait une feuille de route remplie. Elle devait faire un reportage au plus près de la rĂ©alitĂ© des violences meurtrières attribuĂ©es Ă  des djihadistes Ă  la frontière du Mali. L’armĂ©e Française, la force Sabre, avait Ă©tĂ© Ă©vincĂ©e, manu militari, du Burkina. Tully, son camĂ©raman nigĂ©rien Kesch, Samuel et le chauffeur, un touareg du nom de Ahmed, partirent dans les villages du Nord, en 4X4, armĂ©s de camĂ©ras, de micros et d’appareils photos. Des militaires Français suivaient dans deux autres 4X4 afin d’assurer leur protection. A la frontière entre le Ghana et le Togo, survinrent deux attaques sanglantes. Tully voulut absolument filmer les villageois dont les mercenaires avaient incendiĂ© les maisons, kidnappĂ© les jeunes filles et abattu les jeunes hommes. La peur se lisait sur tous les visages. Les enfants se cachaient derrière leur mère, des larmes sĂ©chĂ©es encore visibles sur leur doux visage aux grands yeux pleins d’incomprĂ©hension. Soudain, des 4X4, dĂ©bouchèrent Ă  toute allure et les tirs de kalachnikovs retentirent. Les mercenaires avaient sĂ»rement appris que l’Ambassadeur et une Ă©quipe de tournage venaient dĂ©noncer leurs exactions au monde entier. Samuel, hurla Ă  Tully de remonter en voiture avant que les voitures lancĂ©es Ă  toute vitesse n’arrivent Ă  leur niveau. Ahmed, fit dĂ©marrer le 4X4 en trombe, suivi des 4X4 des militaires de l’Ambassade mais Tully et Kesch voulaient filmer, Ă  tout prix, les ruines fumantes des maisons. Samuel sortit de la voiture et courut comme un fou chercher la jeune femme et le camĂ©raman. Elle se retournât Ă  l’appel de son nom, Kesch fit demi-tour et ils se prĂ©cipitèrent tous les trois, vers les voitures, sous les tirs des milices armĂ©es. Samuel et Tully sautèrent dans la première voiture. Kesch jeta la camĂ©ra sur le siège arrière du 4X4 avant d’être fauchĂ© par une balle. Tully poussa un hurlement et voulut descendre afin de sauver son camĂ©raman mais les voitures Ă©taient dĂ©jĂ  lancĂ©es dans une course folle afin d’échapper aux djihadistes. Elle criait et se dĂ©battait. Samuel la serrait dans ses bras, lui murmurait des mots de consolation, lui promettait de toujours la protĂ©ger, de ne jamais l’abandonner. Il l’assura de tout faire pour Kesch. Tully pleurait sur ces injustices, ces innocents comme Kesch, fusillĂ©s pour avoir voulu livrer la vĂ©ritĂ© au monde. Elle pleurait sur ces BurkinabĂ©s qui n’ont eu d’autre choix que l’exil plutĂ´t que les poteaux d’exĂ©cution, comme son père. Elle livrait toutes ses peurs Ă  Samuel comme jamais auparavant elle ne l’avait fait. Le diplomate l’écoutait en silence, soulagĂ© que les djihadistes aient abandonnĂ© la poursuite. Tout s’enchaina très vite dès leur retour Ă  Ouagadougou. Samuel prit les choses en main concernant Kesch. Le camĂ©raman avait sauvĂ© les dernières images avant de tomber, sous les balles. Tully passa quelques jours sous la protection de Samuel attentif Ă  la fragilitĂ© de la jeune femme. Elle voulait donner sa dĂ©mission et fuir un monde fait de tant de douleurs auxquelles elle ne pourrait jamais remĂ©dier. Tully et Samuel avaient deux expĂ©riences parallèles sur le Bassin, distantes de vingt-cinq ans. L’amour du Bassin les unissait, ce petit paradis qui leur avait donnĂ© leurs racines et leurs ailes. Un monde disparu puis, par eux rĂ©inventĂ©, sous le ciel bleu et la terre rouge du Burkina Faso. Il Ă©tait temps de rentrer Ă  Paris. Samuel accompagna Tully Ă  l’aĂ©roport de Ouagadougou, Ahmed Ă  quelques mètres derrière eux. Comment expliquer ce qui n’est pas explicable ? Comment dĂ©finir ce qui est indĂ©finissable ? Un homme et une femme que vingt-cinq ans sĂ©parent, qu’une amitiĂ© rare rĂ©unit par un hasard mystĂ©rieux sous le soleil d’Afrique. Tully serre fortement la main d’Ahmed et le remercie pour toute son aide. Il esquisse un doux sourire et lui souhaite toute la bĂ©nĂ©diction d’Allah. Samuel la serre longuement dans ses bras. Il a jurĂ© de venir la voir sur le Bassin, après Paris, oĂą il est convoquĂ©, d’ici cinq jours, pour « consultations ». L’avion dĂ©colla et laissa dans son sillage la trace d’une amitiĂ© Ă  la saveur d’une madeleine de Proust, douce et rĂ©confortante. Tully engrange tous les succès lors de la diffusion de son reportage dĂ©diĂ© Ă  Kesch. Que rapportent ces succès au peuple du Burkina confrontĂ© Ă  la violence? Rien. Seules, Tully et la chaĂ®ne de tĂ©lĂ©vision sortent gagnantes de la souffrance d’un peuple qui vit dans la peur de mourir la minute suivante. Tully a la victoire triste et amère. Tully est rentrĂ©e Ă  Claouey. Elle s’est accordĂ©e un mois pour rĂ©flĂ©chir Ă  sa vie. Elle doutait de vouloir rester grand reporter tant son impuissance pesait lourd sur son âme. Samuel lui avait envoyĂ© un message tĂ´t ce matin pour lui confirmer son embarquement de Ouagadougou pour Paris dans l’après-midi. Bien sĂ»r, ile la rejoindrait pour deux ou trois jours sur le Bassin. Tully avait hâte de le revoir. Elle dĂ©cidât de rejoindre Arcachon par la route. Avant l’arrivĂ©e de Samuel, elle voulait retrouver ses repères au Moulleau. La jeune femme gara sa voiture au parking de l’église de Notre-Dame des Passes et s’installa Ă  la terrasse du cafĂ© oĂą elle avait passĂ© son adolescence Ă  siroter des diabolos menthe et des cocas. Elle vit le ciel s’obscurcir sur le Bassin, des nuages sombres luttaient pour effacer toute trace du bleu azur sur la surface scintillante de l’eau. Son tĂ©lĂ©phone vibra sur la table et le numĂ©ro de la rĂ©daction s’afficha Ă  l’écran. Tully rĂ©prima son envie d’ignorer l’appel. Elle dĂ©crocha et Ă©couta son patron sans dire un mot puis elle reposa lentement son tĂ©lĂ©phone, le regard dans le vague, immobile. Les mots de son patron rĂ©sonnaient dans sa tĂŞte, aussi impitoyables que l’orage en approche. Une attaque a eu lieu sur la route de l’aĂ©roport de Ouagadougou. Un tir de mortier a frappĂ© la voiture de l’Ambassadeur. Aucun survivant. Samuel et Ahmed, son chauffeur, ont Ă©tĂ© exĂ©cutĂ©s. Pour eux, pas de droit Ă  l’exil. Le Moulleau s’était vidĂ©, il n’y avait plus qu’elle sur la terrasse, face aux Ă©lĂ©ments dĂ©chaĂ®nĂ©s. Elle Ă©tait trempĂ©e jusqu’aux os, en Ă©tat de choc. Les gouttes de pluie se mĂŞlaient Ă  ses larmes. Elle se retrouvait encore seule Ă  affronter l’avenir. Elle avait perdu un ami rare, son alter ego au masculin. Ce genre d’amitiĂ© Ă©tait un doux trĂ©sor qu’elle garderait si prĂ©cieusement qu’elle avait peur de l’oublier. Devant elle, se dressait la Villa Kermaden, intacte, et dans le parc de la Villa, un grand garçon protecteur, tenant par la main une toute petite fille, exilĂ©e, au regard dĂ©terminĂ© se promenaient, riant et parlant d’avenir. Le soleil pointait le bout de ses rayons, chassant les dernières traces d’un orage aussi bref que dĂ©vastateur. Elle reprit son tĂ©lĂ©phone et confirma Ă  son patron qu’elle acceptait la mission au Mali, pour tenter d’anesthĂ©sier toute forme de douleur personnelle. Ses questionnements, ses doutes s’étaient envolĂ©s avec les derniers nuages noirs. Elle devait continuer, pour Samuel. Pour Kesch. Pour Ahmed. Elle n’avait pas le droit de fuir encore, de s’exiler Ă  nouveau. Elle n’avait pas le droit de se taire. Elle baisse la tĂŞte et regarde ses pieds, toujours engoncĂ©s dans des chaussures noires. 

      Victor DARTENSEY: Le fantĂ´me de Kermaden
        
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