Il se passe toujours des tas de choses étonnantes sur le Bassin d’Arcachon. Toujours...

Tout avait commencé comme ça...

Georges Plassard avait effectué toute sa carrière dans la Police.

Il était en retraite depuis une bonne décennie. Embauché comme simple agent à la circulation, il avait assuré dix ans de bons et loyaux services au sein du commissariat du 13ème arrondissement de Marseille. Adorant tracasser ses congénères, il contrôlait les automobilistes qui venaient de griller - soit disant - un feu rouge, il verbalisait des mamies qui n'avaient pas traversé la rue dans les clous ou effectuait des contres d’identité concernant surtout les exogènes d’Afrique du nord. À sa décharge, il faut dire qu'il avait fait la guerre l’Algérie. Trois ans. Il y était resté trois ans. Trois ans à fouiner dans les quartiers chauds d'Alger, là où son supérieur lui avait dit de chercher des noises aux natifs. Il y avait mené des enquêtes sur les trafics en tous genres comme les ventes sauvages - sous le manteau - de casseroles ou sur le non respect des règles sanitaires en matière de vente de brosses à dents. Mal vu, Georges vivait dans la crainte de représailles de a part des algérois tellement il leur menait la vie dure. Un jour, il avait fait décrocher le linge qui pendait à toutes les fenêtres de la rue Mohamed Ghinouze parce qu’il trouvait ça disgracieux. Cette initiative avait déclenché un tollé général dans ce quartier dont les habitantes révoltées en jetant toutes leurs poubelles par la fenêtre. Une autre fois, rien que pour contrarier de paisibles buveurs de menthe à l’eau du bar se trouvant à l’angle des rues Zikara Mouloud et Mohammed Ben Zineb, il les avait tous fait arrêter au prétexte fallacieux qu'ils avaient demandé, prétendument, à ce qu'on leur serve double dose de sirop. Bref, le Georges était un véritable emmerdeur. Ces frasques avaient été appréciées par Clampart, son chef divisionnaire. Lorsque le temps d'affectation de cette fripouille était arrivé à son terme, les algérois et les algéroises du quartier Belcourt avaient fait la fête. C’est pour dire...

Au regard des loyaux services rendus à la mère patrie, Clampart avait usé de ses prérogatives pour que le Georges montât en grade. C'est comme a qu’il fut muté à la brigade volante du commissariat d'Aubervilliers en qualité de brigadier.

Suite aux accords d’Évian qui avaient mis un terme à cette foutue guerre d’Algérie, les "Événements étant déclarés terminés,  Plassard avait vu débouler dans sa banlieue des centaines de travailleurs algériens venus participer à la reconstruction de la France. Et ça, le Georges, il avait pas aimé. 

Petit à petit, notre homme grimpait dans la hiérarchie. À force de pugnacité, il était passé Brigadier-chef, toujours au Commissat d’Aubervilliers. 

Devenu Major au bout de quelques longues années au cours desquelles il avait fait montre d’enthousiasme à aiguillonner le maghrébin lambda, il avait été affecté au Renseignements Généraux où il avait finit par exceller, notamment dans le bornage des nord-africains.

À "La piscine", il se sentait comme un poisson dans l’eau. Son caractère pugnace avait été remarqué par le Colonel Jouhan qui lui avait proposé un poste dédié à la traque des terroristes. 

Le problème, c’est que - par monomanie - le Georges, il voyait des terroristes partout. Partout, partout... Toute sa vie n’était conduite que par ça.

Entre temps, notre homme avait dégotté l’âme sœur. Lors de la cérémonie du 1er mai dédié à mémoire de Jeanne d Arc, il avait rencontré Fabienne. Blondasse rustique, la Fabienne Bougnard exerçait le métier d’agent administratif au SEDPN, le Syndicat radical de la Police Nationale. Coup de foudre place des Pyramides ! 

Quelques semaines plus tard : cérémonie de mariage en l’Église Saint-Nicolas-du-Chardonnet ordonnée par Monseigneur Lellièvre en personne, traditionaliste de haute volée. Dans la foulée : voyage de noces à Lourdes.

Au bout d’une paire d’années fadasse, Georges et Fabienne avaient décidé de s’offrir quelques congés. Normandie ? Morvan ? Sologne ? On hésitait. Petite, Fabienne était allée en vacances à Lanton avec ses parents. Elle affectionnait le Bassin d'Arcachon dont elle gardait bon souvenir. Son époux n'y ayant jamais mis les pieds, elle réussit à le convaincre d'y louer - pour une quinzaine - un bungalow au camping du "Coq Hardy".

Le caractère authentique de ce petit coin de France avait emballé Georges. Plages accueillantes, parcs à huîtres, pinède aux effluves de résine, vins du Médoc tout proches... Il était sous le charme. De plus, en poussant un peu, le coin offrait de magnifiques balades : dune du Pilat ; petit port de Biganos haut en couleur avec ses jolies cabanes colorées ; flâneries en canot sur la Leyre  domaine de Certes et Graveyron d'Audenge ; Andernos et son église romane, sa rue piétonne et sa jetée. Tout y était magnifique. Et pas un arabe ! 

Le must, c’était d’aller de balader au Cap Ferret. Ahhh ! Le Cap Ferret ! Une perle, un bijou d’amour. D’un côteé l’atlantique avec sa forêt de pins et ses dunes ambrées infinies où poussent les immortelles, les chardons et les oyats, son immense plage à l’estran qui révèle ses ridules comme d’immenses chevelures minérales où s’écoulent des rias d'eau formant parfois, au gré des bancs de sable, des lacs adoucis par les rayons de soleil, lagunes dont les enfants raffolent pour leurs douces baignades. De l'autre, une succession de villages ostréicoles apaisants. Déguster un plateau de fruits de mer accompagnés d'un petit muscadet bien frais à la "Cabane d'Édouard", flâner à la Pointe des Chevaux, découvrir les réservoirs du "Piraillan" où nichent les hérons cendrés, oser s’aventurer sur la conche de "Mimbeau"par marée basse, pousser jusqu’au bout du cap pour gravir les marches du phare et s’émerveiller de la divine dune, prendre le petit train à la jetée du "Bélisaire" et s’arrêter - peut-être - dîner chez "Hortense" des mets d’ exception... Que du bonheur.

Lors d’une fin de ces escapades, on décide de s’arrêter à l’Herbe pour visiter la Chapelle de la Villa Algérienne. Rien que ce nom évoque de bons souvenirs chez Georges qui se surprend à regretter ses années de service, là-bas, de l'autre côté de la Méditerranée où il jouait au coq dans les ruelles du quartier Belcourt. Justement, cette chapelle, parlons en... 

En 1863, Léon Lesca acheta un vaste domaine en bordure du Bassin. Ayant fait fortune dans les travaux publics en Algérie, il y fit construire un ensemble immobilier qu’il baptisa "Villa Algérienne". Au fil des années, Léon développa le domaine. Il planta un vignoble, créa des réservoirs à poissons, exploita la forêt et des parcs ostréicoles, construisit une école, une jetée ouverte pour des liaisons directes avec Arcachon, un presbytère et des maisons pour son personnel. Il y fit édifier une chapelle dont il confia la construction à Eugène Ormières, un architecte de renom. Celui-ci réalisa un édifice néo-mauresque remarquable destiné à la pratique du culte catholique. Sur le clocher, il créa - à la demande de son commanditaire - un subtil rapprochement entre la croix catholique et le croissant de lune musulman. Les inscriptions inscrites aux murs de l’édifice reflétaient les influences culturelles de Lesca. Les carreaux de céramique aux motifs floraux, l'utilisation de l'arc polylobé et la polychromie traduisaient l'influence de l'architecture mauresque tant appréciée par le propriétaire. De plus, de sublimes ex-voto apportaient au lieu son fervent attachement à la mer.

Subjugués par l’harmonie du lieu, les Plassard se confortent dans l’idée - très personnelle - de la suprématie du culte catholique sur celui de l’Islam. Sous le charme, ils prennent congé du lieu afin de rejoindre leur voiture quand ils tombent soudainement sur la preuve flagrante de la présence d'une mosquée clandestine. Apoplexie !!! Le sang de Plassard se glace. Comment osent-ils ? Pour qui se prennent-ils pour oser installer, à cet endroit précis, un lieu dédié aux thèses islamistes ? Les Plassard ressentent un violent relent de provocation ! Georges compte : 17 paires de babouches, posées là, pêle-mêle. Quelle effronterie ! Venir souiller ce site aussi pur ? Il y a là quelque chose d'insupportable, quelque chose d'inadmissible pour lui ! Et la blondasse d'en rajouter... 

- Georges, tu peux pas laisser passer ça ! Réagit bordel...

- T’as raison. J’appelle immédiatement Robert 

- C’est qui ça ?

- Un copain que j’ai connu en Algérie. Il travaille à la Préfecture de Région à Bordeaux. Allô, Mademoiselle, passez moi Robert Clopineau, c’est urgent !

- Désolée Monsieur, mais Monsieur Clopineau est absent.

- Ouais. C'est ça... À d’autres ! Ici Georges Plassard des RG. Clopineau est un ami. J’vous préviens, si vous faites barrage, il pourrait vous en cuire, chère Mademoiselle !

- Euhhh, j’vous l’passe tout de suite...

- Clopineau ? Plassard à l’appareil !

- Ah, salut Plassard. 

- Je suis à l’Herbe, au Cap Ferret. Tu connais ?

- Si je connais ? Mais j'ai une baraque au Ferret. Tu parles si j’connais. Qu mon vieux ?

- J’suis passé - y a deux minutes - devant une mosquée clandestine ! C'est sûr, les basanés préparent un attentat. Ils doivent être au moins 17. Faut intervenir et fisc. Sinon il va y avoir ici. Je ne sais pas ce qu'ils préparent mais ça ressemble à un attentat contre une vedette pleine de touristes !!!

- Wow... Je mobilise immédiatement le RAID... 

En quelques minutes, le plan "Calypso" est déclenché; Le Cap Ferret s'en trouve totalement bouclé. Trois vedettes rapides traversent le bassin depuis le port d'Arcachon. Deux hélicoptères, blindés de commandos, décollent de la base 107. De partout, les forces spéciales de la Police rapliquent à l’Herbe en à peine un quart d'heure. Fabienne, pétocharde, a trouvé refuge dans la Volvo dans laquelle elle s’est cloîtrée. Les hommes du RAID interceptent tous les bateaux zone : voiliers, hors-bords, pinasses, planches à voile, kayaks de mer, plates ostréicoles, vedettes touristiques... Leurs passagers sont tous arrivés. Ils sont débarqués tout au long du cap sous bonne garde. Pendant ce temps, une escouade - armée jusqu'aux dents - assiège la mosquée.

Robert - déposé par hélicoptère express - retrouve Georges sur les lieux.

On se renseigne sur le propriétaire de la baraque suspecte. Il s’agit d’un certain Benjamin Gaume, un jeune local qui exerce la profession de guide touristique saisonnier sur un petit bateau proposant la visite des parcs ostréicoles sauvages situés à proximité des cabanes tchanquées. Il est rapidement repéré. On l’interpelle, on l’emmène au QG installé Boulevard de la Plage afin de le questionner...

- Qui es-tu, espèce de salaud? Nom, prénom, date et lieu de naissance, adresse, profession ?

-  Mais vous tes tombés sur la tête pour traiter les gens comme ça !!!

- Ta gueule ! Nom, prénom, date et lieu de naissance, adresse, profession ?

- Pourquoi ? J'ai rien fait ! J’m’appelle Benjamin Gaume. J’suis d’ici. J’suis né à la clinique d'Arès...

- Rien fait ??? Mais t'es qu’une sale petite pourriture... 

- Moi ? Mais vous êtes fous ou quoi ? J’ai qu’un p’tit bateau et je fais découvrir le bassin aux touristes.

- Et ils sont où les terroristes ? 

- Les terroristes ??? Quels terroristes ?

- Fais pas l’malin avec nous, mon gars. T’es cuit. Tu vas en prendre pour vingt ans minimum.

- Mais, bordel, qu’est-ce que vous me reprochez à la fin ?

- Tu organises des prières clandestines dans ta baraque !!! Tu croyais avoir trouvé la couverture idéale ? Ben c’est raté. Tu t’es fais gauler, mec. 

- Quoi ? Quand ? Comment ? J’suis même pas croyant. Mon père est charcutier au marché municipal d’Andernos ! J’suis même pas pas circoncis !

- Fais voir ? Ah... ben ouais, effectivement. Bon... C’est quoi toutes ces babouches devant ta cabane ? 

- Mais c’est les tongs et les tennis de mes clients, ça. C’est pas aut’chose. Demandez leur ! Comme on va découvrir l’Ile aux Oiseaux et les bancs d’huîtres sauvages tout autour, mieux vaut qu’on soit équipés de sandales spéciales anti-coupures. Ces bancs d’huîtres des sables sont des lieux inhospitaliers pour les pieds car leurs coquilles sont extrêmement coupantes. Je fournis à mes clients des espadrilles pour éviter qu’ils ne se blessent. C’est tout. Y a pas de prières ni de trucs comme ça. Vous vous gourez complètement. 

- C’est quoi ces informations de merde là ? C’est qui qui a lancé l’alerte au djihad ? 

- C’est Clopineau mon Lieutenant ! 

- Qui ?

- Clopineau !

- Mais c’est qui ça, Clopineau ?

- C’est un mec de la Préfecture de Région !!! Il a reçu un tuyau par un indic qui a vu des islamistes préparer un attentat contre une vedette pleine de touristes. 

- Et ils sont où ces deux mecs ?

- Juste à côté. Ils coopèrent. 

- Ils quoi ? 

- Ils participent à l’opération.

- Mais c’est quoi ce foutoir ? Depuis quand des civils interviennent avec nous ? On est le RAID, bordel de merde. On est l’élite ! Allez me les chercher ces deux connards. Libérez tous les prisonniers et laissez repartir tous les bateaux !!!

- À vos ordres mon Lieutenant.

Quelques instants plus tard, Clopineau et Plassard, poussés sans ménagement dans la camionnette noire qui sert de QG, sont présentés au Lieutenant Tronchard. On les menotte chacun à une chaise...

- Vous ! Déclinez votre identité !

- Robert Clopineau. Secrétaire du Préfet de Région. Réserviste de l’armée de terre au titre de capitaine !

- Et vous ?

- Georges Plassard. Ancien actif de la Police Nationale au titre de brigadier-chef. Retraité en qualité de Major des RG. Spécialiste de la traque aux musulmans radicaux dans le cadre de la cellule anti islamiste du ... 

- OK ! Qui a informé l’autre ?

- C’est moi qui ai appelé Robert parce qu’il y avait danger imminent d’attentat.

- Ah ouais ? Et qu’est-ce qui vous a fait pensé à ça ?

- Les babouches devant la p’tite mosquée, juste là, sur le bord de la jetée.

- Mais c’est pas une mosquée !

- Si si. Allez y voir vous même. Ça ressemble à une cabane de pêcheur mais c’est une couverture, en fait. En vrai, c’est un lieu de rassemblement pour les bougnouls.

- C’est qui que vous appelez comme ça ? 

- Ben les bicots, les ratons quoi. 

- Les quoi ? 

- Les arabes si vous préférez. Vous êtes sourd ou vous le faites exprès ? 

- Vous vous foutez de ma gueule ? Pourquoi vous les appelez comme ça ? C’est du racisme pur et dur ça ! Du racisme de facho... Et c’est puni par la Loi ! 

- J’les aime pas, les melons... 

- J’avais cru comprendre. Vous savez combien ça va coûter au contribuable votre petite affaire là ?

- Non. Et j’m’en fous royalement ! 

- Ah oui ? Je vous transfère illico au parquet de Bordeaux. Un juge d’instruction du Parquet anti-terroriste vous y attend. Vous allez en prendre plein la gueule !!!

- Mais ! Attendez... Y a un malentendu là ! Vous n’avez pas le droit de...

- Effectivement. Un malentendu, comme vous dites... Allez, embarquez moi ces deux barjots !!


Quand je vous l’disais qu’il se passe toujours des choses extraordinaires autour de notre sublissime Bassin !


Alain Kersulec