Couchés sur le sable, immobiles, ils attendent d’être enfin délivrés. Accrochés aux corps-morts, les bouts se tendent. Heureuses, les drisses cliquètent, et les voiliers réveillés se mettent à danser.
Le capitaine a la raie au milieu. Le merlan ne l’a pas raté, tiens ! Il se sent ridicule, lui, bien dans le moule, qui ne se fait jamais remarquer d’ordinaire. Il a l’air d’un maquereau, coiffé comme ça. Il va être la risée des morues qui tournent en rond dans le marché comme des poissons rouges dans un bocal. Il s’efforce de les ignorer, elles ont un QI d’huîtres. Entre les bancs des poissonniers, on est serré comme des sardines. Comment va-t-il la retrouver ? Ah, la voilà, elle sort du bar, royale comme à son habitude. Il en est tout impressionné. Il lui tend son bouquet en lui disant timidement : « bonjour, Lisette, ma crevette ».
« Regarde, la mer tient dans ma main. » disait Grand-père pantalons relevés sur les mollets. Ses pieds de géant s’enfonçaient dans le sable que recouvrait régulièrement le va et vient de l’eau. Il ouvrait alors sa large paume et l’enfant accourait en faisant crisser le sable, la main en visière. Son émerveillement puisait alors dans cette minuscule flaque d’eau salée où se débattaient une ou deux crevettes qu’une fine algue verte ligotait. Parfois s’invitait un petit crabe prêt à en découdre ou bien un fragile coquillage nacré arraché à l’or du sable. Un jour le vieil homme avait glissé au creux de sa main une minuscule étoile de mer orangée et l’enfermant entre ses doigts d’où s’échappait un filet d’eau brillante avait dit en riant « oh, mais qu’est-ce qui me chatouille comme ça ? Voyons ! » Longtemps l’enfant avait cru que l’étoile était tombée du ciel pour s’installer sur la Terre, voyager un peu et avait trouvé le bonheur entre ces trois rochers à demi submergés, coiffés d’algues brunes et visqueuses. Même plus tard, à la relève des casiers à homards recouverts de grosses étoiles voraces, jurant, gueulant que ces bestioles resteront une plaie à tout jamais, il gardera la vive certitude presque douloureuse que le ciel et la terre se confondent intimement. Cet enfant breton était mon père et aujourd’hui j’ai puisé de l’eau au même rivage et ouvert ma main. Quelle histoire ont lu mes petit-fils au creux de ma paume dégoulinante salie de particules sombres ?
Nous avions passé une première nuit enchanteresse à observer les étoiles au son des clapotis de la mer qui venait s’échouer sur les rochers affleurants. Alors que le soleil se levait inexorablement sur l’horizon, je contemplais le rivage qui rétrécissait, laissant derrière nous le lagon et son épave habillée de coraux et coquillages, l’île n’ayant bientôt plus l’apparence que d’un rocher au milieu de l’étendue bleue infinie. Nous étions à présent seuls au milieu de la grande bleue, seuls en apparence car un monde parallèle existait sous la coque du voilier, mystérieux, merveilleux et plein de promesses.